Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts de Caen du 24 septembre 2016
Cette nouvelle visite descriptive avait pour objet la découverte de l’exposition intitulée « Frits Thaulow, paysagiste par nature ». Après nous avoir accueillis dans le hall du musée, Claude Lebigre nous a entraînés à travers les différentes œuvres du peintre norvégien.
Nous nous sommes tout d’abord arrêtés devant une petite esquisse d’environ 40 sur 50 centimètres. Pour nous en faire deviner le sujet, Claude nous a fait sentir un objet qui s’est avéré être une coquille d’huître, évoquant la mer. Le tableau représente en effet le sillage d’un paquebot. Frits Thaulow était un grand voyageur et très sportif.
Il est né en 1847, soit 7 ans après Monnet, dans une famille bourgeoise de Christiania, ancien nom d’Oslo du temps où la Norvège était sous tutelle suédoise. Car si la Norvège s’est dotée d’une constitution dès 1818, elle n’est devenue indépendante qu’en 1924. Au 19ème siècle, il n’y avait d’ailleurs pas de langue officielle mais de nombreux dialectes. Si bien qu’aujourd’hui, il existe deux langues écrites officielles : le bokmål qui est la langue des livres, et le nynorsk, ou néo-norvégien, qui a été entièrement inventée à partir des différents dialectes des fjords.
A cette époque, la Norvège était un pays très pauvre, à tel point qu’une partie de la population a migré vers les Etats-Unis. Knut Hamsun, prix Nobel de littérature, a écrit à ce sujet un roman intitulé « La faim » qui décrit les errances d’un personnage tenaillé par la faim.
Très jeune, Frits Thaulow rêvait de devenir peintre. Mais ses parents exigèrent qu’il poursuive ses études. Il a donc obtenu en 1870 son diplôme de pharmacien et a exercé pendant une année. Puis il est entré à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague où il a pu côtoyer d’autres artistes. Il a rencontré notamment des peintres de marines, mais surtout Ingeborg, devenue son épouse. Celle-ci était la sœur de Mette Sophie Gad, la femme de Paul Gauguin. Thaulow et Gauguin étaient donc beaux-frères. Leur relation s’est d’ailleurs poursuivie par des échanges de lettres même après le divorce du norvégien en 1886. Mais Thaulow ne comprenait pas du tout la peinture de Gauguin et ce dernier était très jaloux du succès de son beau-frère. En effet, grand communicant, Frits Thaulow est très vite parvenu à se constituer une clientèle et une renommée internationale en fréquentant les bons salons et les bonnes galeries.
Dans ses premières années, il est très tenté par la modernité. Il va ainsi peindre des poteaux électriques, des usines dont les cheminées crachent des fumées aux multiples nuances de gris. Il va également peindre l’arrivée du train, comme Monnet avec la gare Saint Lazare. En outre, à cette époque, la Norvège connaît une grande vague de social-réalisme dans la peinture. Thaulow va donc s’intéresser à la pauvreté, à l’activité urbaine, à l’arrivée du gaz et de l’électricité et de la lumière des lampadaires. C’est sa période grise, inspirée de la palette d’Eugène Boudin dont il est très admiratif. Ce sont des gris colorés, avec des ciels chargés. Au début, les compositions de Thaulow sont relativement classiques, privilégiant les ciels, avec une ligne d’horizon au milieu et même très souvent en-dessous du milieu laissant une grande place aux ciels. Cette première période va se poursuivre jusqu’en 1881.
Notre conférencière nous a alors invités à la suivre jusqu’à un autre tableau. Après son divorce, Thaulow rencontre Alexandra Lasson, dont la sœur est l’épouse de Christian Krohg. Ce dernier est également peintre et un ami de Frits Thaulow. C’est l’un de ses tableaux que nous présente Claude. C’est un portrait presque officiel de Thaulow. Il est de trois quarts, en costume noir et chemise blanche. Dans ses mains, on trouve les attributs du peintre : la palette et le pinceau. Derrière lui, un chevalet présente un paysage d’hiver. On aperçoit une étagère avec des flacons, ce qui évoque un intérieur d’atelier. Sur un autre tableau, Thaulow est représenté avec Alexandra. C’est une toile d’un autre impressionniste, Alfred Roll, peint en plein air. Une lumière naturelle éclaire le visage des deux amoureux. Le tableau illustre très bien la relation particulièrement forte entre Thaulow et Alexandra.
Elle va en effet devenir la femme de sa vie. C’est également une artiste. Tous deux parlent cinq langues : le Suédois, le Danois, l’Anglais, l’Allemand et le Français.
Un nouveau petit voyage à travers l’exposition nous amène devant une toile toute en hauteur. Elle représente, dans sa partie basse, des chemins parmi des rochers et de la terre. Et sur la gauche, sont représentés des poteaux électriques. Quelques hirondelles sont perchées sur les fils. Juste à côté, un mini tableau représente l’arrivée du train. On y voit les rails qui vont en rapetissant vers le milieu de la toile. On devine la locomotive à son panache blanc et quelques oiseaux dans le ciel.
Un peu plus loin, nous nous arrêtons devant un tableau représentant le port de Christiania. C’est un tableau très descriptif dont Edward Munch a dit : « c’est le tableau le plus moche que j’ai jamais vu ».
C’est pourtant Thaulow qui a initié son jeune cousin, Edward Munch à la peinture. Par la suite, Munch est allé étudier à Paris, chez Léon Bonnat, un peintre très convenu. Mais bien vite le jeune artiste va s’affranchir de cette peinture réaliste. Il disait : « assez de ces hommes qui lisent le journal, de ces femmes qui tricotent. Moi je veux montrer l’intérieur des êtres, les cris, les larmes, le sang. »
En 1881, Frits Thaulow va faire un petit voyage dans le sud-ouest de la Norvège, à Kragero, où il va véritablement trouver son sujet.
Kragero est un village fait de petites maisons de bois colorées. Ces petites maisons ont la particularité d’être plantées dans des rochers formidables. Claude nous emmène les découvrir à travers de nouveaux tableaux de l’artiste. Dans cette partie de l’exposition, les peintures représentent surtout des paysages. Les rares personnages sont généralement présents pour illustrer la notion de vitesse. Et la ligne d’horizon est complètement remontée, le ciel n’étant plus qu’anecdotique. Le tableau que nous décrit Claude représente une rue de Kragero, faite de rochers. Dans cette rue enneigée, des enfants jouent avec des luges. Il y a un effet de vitesse rendu par les luges. L’une avance vers nous avec deux enfants à son bord, et l’autre, plus loin, donc plus petite, arrive derrière. Quelques fillettes et un garçonnet regardent la scène. Mais ce ne sont que des silhouettes. Thaulow ne s’intéresse pas aux personnages. Cette nouvelle palette éclatante et cette ligne d’horizon très haute vont devenir des constantes dans la peinture de Thaulow jusqu’en 1900 environ. Les couleurs sont contrastées, avec des ombres très marquées extrêmement colorées . La neige n’est jamais blanche. Elle est bleutée.
L’année suivante, Thaulow va s’exposer au salon de Christiania. Au fond de la galerie, il accroche un énorme tableau représentant la cascade de Modum. Il a choisi un cadrage très particulier en serrant au maximum, et en remontant tout à fait la ligne d’horizon. Du coup, les baraquements que l’on aperçoit semblent très petits par rapport aux énormes rochers de la cascade. L’eau charrie de gros rondins qui semblent être des troncs d’arbres. Le tableau est d’autant plus imposant que son cadre est remarquable. Il est en bois sculpté avec des feuilles de laurier en couronne, le tout doré à la feuille d’or.
Lorsque l’année suivante il montre ce tableau à Anvers, c’est le début de sa carrière internationale.
Pour nous annoncer la suite de la visite, Claude nous fait écouter le son d’un ruisseau. Elle nous entraîne devant un tableau réalisé dix ans plus tard, dans les années 1890. Il représente un moulin en brique, avec une roue en bois, tout en haut de la toile. Et en-dessous, on voit l’eau qui sort de la roue du moulin. Thaulow est parvenu à représenter l’eau dans toute sa complexité : sa surface, sa transparence, sa profondeur, son mouvement et sa vitesse. On voit à travers cette toile l’influence des japonais comme Hokusai, en particulier avec les petites vaguelettes à la surface de l’eau. Thaulow va s’attacher à ce sujet de l’eau en réalisant de nombreuses séries.
Claude nous propose de nous installer devant l’une de ces séries.
Pour nous faire deviner le thème, elle nous fait goûter un fruit, une pomme, et elle nous remet un marron. Elle nous donne aussi à sentir de l’écorce ou de la terre. Thaulow a représenté l’automne, avec une peinture très onctueuse, toute en lumière et en transparence. Dans cette série, les tableaux représentent toujours un bord de rivière, avec une ligne d’horizon très haute et donc de la profondeur. On voit quelques fois des chaumières, d’autres fois des maisons en brique. Les arbres sont dorés, verts, des couleurs éclatantes. Et si les paysages représentés sont souvent les mêmes, il y a une variation dans le frémissement de l’eau.
A la fin du 19ème siècle, on découvre la Norvège à travers les expositions universelles. Chaque pays y présente ses traditions, son folklore mais aussi ses artistes. La Norvège s’exporte également à travers ses intellectuels, comme Ibsen, qui était un ami de Thaulow. Mais alors que Thaulow était encensé par la critique, Ibsen était complètement décrié pour avoir présenté, dans l’une de ses pièces, une femme libre, qui claque la porte de chez elle, laissant mari et enfants. C’était intolérable dans la Norvège de l’époque, qui fut pourtant l’un des premiers Etats à accorder le droit de vote aux femmes. Ironie du sort, aujourd’hui les pièces d’Ibsen sont toujours jouées tandis qu’on a complètement oublié Thaulow après sa mort et jusque dans les années 2000. Pendant tout le 20ème siècle, plus aucune exposition ne présente Frits Thaulow. Il va falloir attendre la fin des années 2000 pour que le musée Rodin le remette en lumière à travers une exposition de la correspondance entre Rodin et Thaulow. C’est le musée des Beaux-Arts de Caen, avec cette exposition, qui est finalement le premier à remettre en scène les œuvres du peintre norvégien.
Claude nous décrit également la salle où nous nous trouvons car, au contraire des autres pièces du musée, celle-ci a été installée en forme de rotonde. Tous les petits tableaux représentant les rivières automnales sont donc accrochés sur un mur concave de couleur brune. Le regard est dès lors entraîné dans la scénographie.
Si Frits Thaulow est un peintre de plein air, il ne réalise pas tout le tableau en extérieur. Il fait d’abord une esquisse en plein air, ce qui a été rendu possible grâce à l’invention de la peinture en tube. Puis il utilise ces notes pour ensuite peindre le tableau en atelier.
En passant dans la salle suivante, un morceau de piano nous accompagne.
C’est une pièce du compositeur impressionniste De Bussi intitulée « des pas dans la neige ». Cette nouvelle salle est également ronde, et couverte de tableaux représentant des paysages d’hiver. En Norvège, les journées d’hiver sont particulièrement courtes. A Oslo, par exemple, on peut profiter de 4 heures de jour. Mais la présence de la neige permet de magnifier la lumière. La lumière y est toujours rasante, très colorées, et projetant des ombres très longues. Comme tous les Norvégiens, Thaulow pratiquait le ski. Mais pour les Français, ce fut une découverte.
Claude nous présente un tableau provenant du musée d’Orsay. C’est un paysage de neige, avec des petites maisons dans le lointain, avec des cheminées qui fument. On voit une couche neigeuse, poudreuse, avec des traces de pas. Sur le haut d’une butte, le peintre a représenté une procession de skieurs. Leurs skis étaient alors des lattes de bois, et ils étaient munis d’un seul bâton.
Claude fait un petit aparté pour nous raconter que, le 15 janvier 1895, Rodin, le meilleur ami de Thaulow, organise un énorme banquet réunissant 500 artistes. A cette occasion, Thaulow rencontre Monnet. Puis un mois plus tard, Monnet se rend en Norvège où il va lui aussi peindre la neige. Mais ses paysages n’ont rien à voir avec ceux de Thaulow. Alors que le norvégien montre la vie, les jeux, les promenades dans la neige, le plaisir d’être dehors, les tableaux de Monnet sont presque abstraits, représentant avant tout la couleur.
Claude nous présente une autre toile, de 1894, où Thaulow a peint la neige avec des touches de rose, de jaune, de bleu, de gris, comme une glace un peu fondue dont les couleurs se mélangeraient. Le ciel est vert et rose, et les lignes d’horizon violet tendre. Au loin, on aperçoit des silhouettes de skieurs et une forêt.
Elle compare ce tableau avec un autre, juste à côté, de Claude Monnet. Le ciel est également rose et vert. Mais ici, les touches de couleurs de la neige sont fractionnées et très brossées. On voit même la toile par transparence. On note vraiment la différence entre l’impressionniste qu’est Monnet et le pleinairiste qu’est Thaulow. Et pourtant tous deux se rejoignent dans l’analyse de la couleur. Tous deux ont pour point commun une vision du paysage et de la lumière.
Thaulow va également peindre la nuit. C’est un autre territoire qui va s’ouvrir au 19ème siècle avec la vie urbaine et moderne. Il s’achète une automobile qui va lui servir à peindre. Elle est en effet dotée de phares à acétylène, qui produisent une flamme très blanche. Ces lanternes étant amovibles, il pouvait les retirer de son automobile et éclairer son sujet.
Pour nous présenter cette autre face de la peinture de Frits Thaulow, Claude nous entraîne dans une dernière salle en rotonde, dédiée à la nuit. Elle nous présente par exemple le tableau « Soir à Quimperlé, Bretonne sur le pont ». Le halo très blanc est le signe de l’usage de la lanterne à acétylène, bien qu’il y ait sans doute eu d’autres sources de lumière, notamment avec le lampadaire ou l’électricité dans la maison derrière le pont. On retrouve ce même halo blanc dans le tableau « cheval blanc sous un clair de lune ».
Pour ponctuer cette visite, Claude nous a cité Frits Thaulow : « La nature a souvent des moments exquis, qui passent si rapidement qu’on est obligé de travailler ensuite de mémoire. Je cherche tout autre chose que la vérité absolue, et je comprends l’esprit de ce paradoxe : il n’y a que le mensonge qui soit vrai en peinture. Et je resterai, même avec les mensonges, le naturaliste que j’ai toujours été. Je tâcherai toujours de rendre l’illusion de ce que j’ai observé dans la nature. »
Claude nous présente ensuite un travail de vidéo de Jehan Thibault, jeune diplômé de l’ESAM de Caen (Ecole Supérieure des Arts et Métiers).
L’écran est d’abord complètement blanc, puis complètement noir. Et en partant du coin en haut à gauche, le blanc va venir petit à petit envahir le noir. L’artiste a filmé la mer qui monte sur la plage. Il a travaillé, à l’ordinateur, la lumière de la mer remontant sur le sable.
Pour terminer la visite, Claude nous a réservé une petite surprise. Une salle a été aménagée pour permettre aux visiteurs de se mettre en scène dans les tableaux de Thaulow. Certains ont été reproduits en très grand format (environ 2,5 mètres sur 5) pour former un décor. Quelques accessoires ont été mis à disposition. On a pu ainsi se prendre en photo en peintre devant son chevalet ou en pêcheur dans une barque, ou encore dans une luge, recouvert de fourrure.
Un grand merci à Claude Lebigre pour cette belle découverte. La prochaine visite, le samedi 26 novembre, aura pour sujet « exploration tactile de "Ceiling Light" de Jaakko Pernu ».
Rédigé par Emmanuelle Gousset, le 29 septembre 2016.
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