Compte-rendu de la visite descriptive du 7 mai 2016 au musée des Beaux-Arts de Caen

La dernière visite descriptive de la saison organisée par le musée des Beaux-Arts de Caen a rencontré un franc succès auprès des déficients visuels de notre région. Le samedi 7 mai dernier, nous nous sommes retrouvés autour de l’exposition intitulée « Sur ce monde en ruines », en référence à « La confession d’un enfant du siècle » d’Alfred de Musset (1836).

Claude Lebigre nous a tout d’abord présenté la genèse de cette exposition, créée à partir des collections du musée des Beaux-Arts et du Fonds Régional d'Art Contemporain Basse-Normandie. Puis elle nous a lu le texte qui l’a inspirée :
« Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang qui avait inondé la terre : ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes ; mais on leur avait dit que, par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale de l’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain. […]

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris… ».

Cette exposition se décline en quatre sections. La première section est axée sur les villes et les paysages, la seconde sur la guerre, la troisième sur la mort et la dernière sur la lumière car celle-ci est un reflet de l’espoir.

Claude nous a emmenés dans la salle où se trouve l’œuvre de Micha Laury. C’est un artiste israélien. L’œuvre est composée de soldats en chocolat enfermés dans du verre avec un petit trou sur le dessus qui permet d’aérer le récipient et de la sentir comme nous nous sommes amusés à le faire. Cette œuvre représente les horreurs de la guerre de façon criante car sur la petite cinquantaine de soldats, seuls six d’entre eux sont encore entiers, les autres sont morts ou amputés. La phrase en Anglais « Don’t be a chocolat soldat » que ses supérieurs n’arrêtaient pas de lui répéter durant son service militaire lui ont inspiré la matière à utiliser pour réaliser son œuvre. Cette phrase est également omniprésente sur les plaques en chocolat qui recouvrent le récipient en verre.
Notre conférencière nous a expliqué que les artistes de cette génération prennent un certain recul pour exprimer les horreurs de notre monde tourmenté.

Ensuite, Claude nous a fait la description d’une photographie représentant une forêt. C’est une forêt malingre et clairsemée. Sur deux arbres sont accrochés des fils de fer. On peut aussi y voir du plastique, une serpière, des tissus, du carton, une écharpe et des lacets. Cette photographie étant difficile à comprendre, c’est le titre du cartel qui nous éclaire sur l’œuvre de Bruno Serralongue nommée « vestige après destruction, zone industriel des dunes Calais, avril 2007 ». Cet artiste a travaillé en immersion pendant des mois voire des années avec les migrants de Calais. Lui aussi se sert du retrait de l’émotion directe. Cela se retrouve de façon récurrente dans l’art comptenporain.

La troisième œuvre est en béton brut. Nous pouvons donc la toucher sans crainte. En glissant notre main à l’intérieur, nous découvrons qu’il s’agit d’une boîte à œufs. D’ailleurs, elle s’appelle « bunker pour six œufs frais ».

Après l’œuvre de François Curlet nous sommes allés voir le tableau d’Eugène Leroy. Auparavant, Claude nous a mis dans les mains une palette de peintre pour nous faire sentir l’épaisseur des couches de peinture. Nous retrouvons ces couches épaisses dans les œuvres d’Eugène Leroy. Notre conférencière nous a présenté une petite biographie de ce peintre né à Tourcoing en 1910 d’un père également peintre mais mort lorsqu’Eugène avait un an. Il a commencé à peindre pendant son enfance. Puis il a fréquenté l’école des Beaux-Arts de Lille et ensuite celle de Paris. Il découvrit « la fiancée juive » de Rembrandt en 1936 et dès lors, cet artiste sera un de ses grands maîtres, tout comme Vincent Van Gogh, Hugo van der Goes, Paul Cézanne et Paul Gauguin. Ce sera un peintre figuratif tout au long de sa vie. Jean Clair écrit de lui qu’il veut « saisir non la ressemblance mais au contraire l’indéfini, l’insaisissable, l’imprévu ».
Eugène Leroy s’attachera à la ville de Tourcoing jusqu’à sa mort. Il y fera sa première exposition au musée des Beaux-Arts en 1956.
De 1950 à 1960, il continue ses recherches, peignant à partir de l’observation accrue de son environnement et conciliant couleurs pures et rigueur de la composition.
De 1960 à 1970, il poursuit ses recherches et fait une exposition à la galerie Claude Bernard à Paris. C’est à cette période qu’il commence à être reconnu par des artistes de l’avant-garde de la peinture européenne.
De 1970 à 1980, Eugène Leroy décrit lui-même son travail par cette formule : « lumière devant, lumière derrière, désormais je peux satisfaire ma rêverie à tout loisir, hors de l’école, loin des écoles ».
De 1980 à 1990, c’est Enfin la reconnaissance de son talent grâce notamment au peintre allemand Werner.
De 1990 à 2000, les dernières années de la vie d’Eugène Leroy sont marquées par l’influence grandissante des saisons sur son travail.
Il sera reconnu tardivement par le grand public sans doute parce que sa peinture ne correspondait pas à l’esthétique de son époque.

Le tableau exposé devant nous s’appelle « deux nus ». Il mesure un mètre de large sur deux mètres de haut. Cette œuvre de 1962 représente deux corps nus sous forme de silhouettes qui peuvent évoquer Adam et Eve. Ce tableau a un nombre incroyable de couleurs mais elles s’éteignent pour faire apparaître la blancheur de ces corps créés dans la matière.

Pour terminer cette visite, Claude nous commente l’œuvre de Noël Dolla effectuée sur de la tarlatane. L’artiste a trempé le rouleau de tissu dans différents bains de peinture à l’huile, puis il l’a nettoyé. Cela donne des reflets de différentes couleurs, des roses, des bleus et des gris. Nous avons l’impression de voir un faisceau de soleil sur des vaguelettes. C’est un paysage extraordinaire qui s’offre à nous. Noël Dolla a essayé de faire de la peinture sans peinture. Cette œuvre prouve qu’il a réussi ce défi.

La prochaine visite descriptive aura lieu le 24 septembre 2016 autour de l’exposition temporaire « Frits Thaulow, une expérience sensorielle ».

Rédigé par Nicolas fortin, le 25 mai 2016.

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