Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts du 7 décembre 2013.
Le samedi 7 décembre à 11h, le musée des Beaux-Arts de Caen a organisé pour le public déficient visuel, en partenariat avec l'association Cécitix, une visite de la rétrospective « permanence et métamorphose Jacques Pasquier peinture 1960-2013».
Pascale Fiszlewicz nous a accueillis puis présenté Monsieur Pasquier. C'est une première lors de ces descriptions que l'artiste soit avec nous pour nous parler de son œuvre et répondre à nos questions. Je profite de ce compte-rendu pour le remercier pour sa disponibilité et sa grande implication à nous faire vivre son parcours artistique.
Tout en nous guidant vers le premier tableau qui nous sera décrit, Pascale nous présente l'œuvre du peintre. Elle nous explique la métamorphose qui s'est produite tout au long des années. C'est une œuvre personnelle qui reflète l'évolution picturale de l'artiste.
Cette rétrospective est d'un intérêt artistique notable puisqu'un ouvrage lui a même été consacré.
Pour arriver jusqu'à la première toile, datant des années 60, nous remontons le temps en passant par plusieurs pièces. Nous traversons d'abord une salle au murs peints en gris clair, excepté celui en face de nous qui est d'une couleur blanc cassé. Sur ces murs sont accrochés des tableaux de la période des années 90. Un peu plus loin, une grande salle a été divisée en deux. Dans l'une des parties, il y a 3 œuvres. Celle accrochée face à nous est dans les tons vert, tandis que celle de droite est plutôt bleue turquoise et celle de gauche est plus colorée avec du bleu, du mauve, du vert et un peu de jaune.
L'exposition bénéficie d'une lumière dite zénithale, c'est-à-dire une lumière naturelle, venant du haut, des vitres recouvrant une partie de la salle. Elle est renforcée par une lumière artificielle dirigée de façon à éclairer les peintures pour les mettre en valeur.
Nous passons par une troisième salle où sont exposées d'autres peintures des années 90. Pascale nous fait alors remarquer une très grande toile, dont le fond est jaune, d'où se détachent cinq éléments de couleurs. La cimaise de gauche comprend deux grands tableaux et nous en comptons trois sur la cimaise de droite. Au milieu se trouve un diptyque où les tableaux sont superposés. Sur la cimaise de droite nous voyons des personnages en noir et gris. Seule une toile éclabousse les yeux de couleurs rouge et rose fluorescent.
Les deux œuvres placées devant nous sont extrêmement colorées et font ressortir des motifs répétitifs.
Nous arrêtons finalement notre parcours dans une quatrième salle où nous nous installons pour écouter les commentaires de notre conférencière et de Monsieur Pasquier sur un premier tableau.
Avant de commencer la description, Pascale nous explique que deux autres œuvres grand format sont accrochées à la cimaise. Elle nous indique également qu'il existe une cinquième salle où se trouve une vidéo d'une cinquantaine de minutes ainsi qu'un autoportrait de Monsieur Pasquier et deux autres tableaux.
La toile qui nous est décrite mesure environ 1,4 mètre de longueur et 1,1 mètre de largeur. De manière générale, les tableaux de Jacques Pasquier sont de grande dimension. Cela donne une sensation de respiration, une idée de liberté.
Monsieur Pasquier commence à nous décrire son premier tableau qu'il a peint en 1960. Le fond de la toile est d'un brun indéfinissable, obtenu après plusieurs couches de peinture à l'huile. Nous y voyons cinq personnages nus, stylisés, de couleur grise, avec des taches blanches et toujours une certaine épaisseur. Ces personnages essaient d'attraper des papillons, au nombre de trois.
La passion de l'artiste pour l'entomologie l'a beaucoup influencé dans sa peinture notamment dans ses premières œuvres. Il nous a expliqué que, tout jeune, il capturait les papillons. Il possède ainsi une belle collection qu'il a commencée avant même de se mettre à la peinture. Dans ce tableau, les papillons symbolisent la légèreté et la liberté de penser. Pour Jacques Pasquier, cet insecte est un être très pictural qui l'a aidé à trouver sa voie à travers ce symbole de légèreté et de beauté qu'il cherchait à découvrir dans son travail.
Deux vers de Guillaume Apollinaire l'ont également beaucoup influencé : « De Chine sont venus les pihis, longs et souples, qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couple ». Monsieur Pasquier nous dit qu'il aime faire ressortir la gémellité dans ses œuvres, ce qui explique l'intérêt qu'il porte à ces vers. A partir de ceux-ci, il a d'ailleurs dessiné un petit livre comprenant des personnages un peu lourds comme dans ce tableau.
Les personnages du tableau sont de profil, excepté celui du centre qui semble à la fois de profil et de face. Un des personnages, sur la droite, est penché vers le sol pour attraper un papillon qui vole bas.
Le trait a également une grande importance pour l'artiste, mais un trait qui se rapporte plutôt à une écriture. Cela vient sans doute de sa passion pour la bande dessinée, art qu'il a pratiqué dans sa jeunesse. La forme a été inspirée par le mouvement de la bande dessinée, et le fond davantage par l'anthropologie.
Monsieur Pasquier nous explique que pour pouvoir créer, il faut s'approprier une certaine liberté de penser et aussi rejeter beaucoup de choses pour trouver sa propre personnalité.
C'est ensuite Pascale qui reprend la description du tableau. Dans cette œuvre les personnages sont dessinées en cercle. Ils donnent l'impression de lutter, comme les papillons, contre la pesanteur.
Quatre d'entre eux sont sur une ligne horizontale qu'on imagine être le sol. Elle est disposée une dizaine de centimètres au-dessus du bord inférieur de la toile. Ils n'ont pas les pieds bien posés, comme s'ils commençaient à danser.
Le personnage tout à fait sur la gauche de la toile, une femme, a la jambe droite bien tendue, et la gauche qui se lève, comme dans un mouvement d'élan vers le haut. Son bras gauche est replié sur son épaule et son bras droit est tendu pour attraper un papillon.
En écho à cette femme, le cinquième personnage, tout à fait à droite, a décollé du sol, là aussi pour tenter d'attraper un papillon. Ce mouvement de lévitation lui donne une liberté du corps. Il est courbé et ses bras font un geste d'embrassement. Il a pour point de mire le papillon qui est au milieu du tableau. Sa main forme comme une pince pour l'attraper mais celui-ci est bien trop haut pour qu'il puisse l'atteindre.
Le personnage central est de sexe indéterminé. Il s'élève, tandis que son bras droit est replié sur son sein. Sa main gauche se tend pour attraper le papillon. une main qui semble s'allonger cachant même son bras et son avant-bras. Sa tête suit le mouvement vers le haut, entraînée dans l'action.
Entre ce personnage et celui qui est en lévitation se trouve le personnage qui se baisse. Cela donne du rythme au tableau. Nous pouvons remarquer une grande étude du geste et également un équilibre parfait dans la toile.
Cette œuvre est assez paradoxale puisqu'elle donne aussi bien une idée de légèreté qu'une idée de lourdeur. Elle donne à la fois une impression d'aplat, et un certain volume pour les personnages. On a l'impression d'être placé devant une frise.
Dans ce tableau, seuls les trois papillons de couleur jaune sont très lumineux.
La visite se poursuit alors, nous entraînant dans la deuxième salle vers une œuvre plus récente, peinte en 1995.
Une fois installés, Monsieur Pasquier nous explique l'évolution qui a eu lieu dans sa peinture entre ces deux tableaux au cours de ces 35 années. Il a connu de nombreuses périodes très différentes.
Dans un premier temps, les personnages ont voulu s'alléger, se libérer. Il nous fait remarquer que 1968 n'était pas loin.
Puis il a construit un peu d'architecture sur ses toiles, des arches, de la perspective où les personnages venaient s'installer.
Est alors venu le temps où il a utilisé des grilles, le pochoir et le tampon.
S'en est suivi une période presque abstraite, avant un retour à de la peinture plus classique telle que des portraits, des nus et des natures mortes.
Une nouvelle période s'est imposée à lui lorsqu'il a découvert des rouleaux en mousse sur lesquels il appliquait de la peinture à l'huile. Il l'a nommée la « période irisée ». C'était au cours de l'année 1988.
Depuis il utilise des laques fluides à la place de la peinture à l'huile car celle-ci ne donnait plus le résultat souhaité.
Dans la continuité de cette période les personnages ont refait leur apparition. Il les peignait avec des rouleaux en mousse par un mouvement de va et vient.
Ensuite, il est venu a dessiner sur des grandes feuilles de papier de la grandeur de la toile. Il dessinait à distance, puis il appliquait le dessin sur la toile.
L'évolution la naturellement conduit à utiliser le pliage avec du papier kraft. Il a commencé par plier une fois, puis deux fois, et enfin trois fois.
Ensuite, il a souhaité que le pli ne se voie plus. Même s'il l'utilisait toujours au départ, il enlevait toutes les traces que ceux-ci pouvaient laisser avec une brosse ou un chiffon imbibé de White Spirit.
Pour terminer cette rencontre, Monsieur Pasquier nous a invités à lui poser quelques questions. Il lui a d'abord été demandé s'il avait une idée du nombre de toiles qu'il a peintes. Il nous a répondu qu'il doit lui en rester autour de 3 mille, sans compter les desseins. Mais il faut savoir qu'il a détruit beaucoup de toiles en peignant par-dessus lorsqu'il n'en était pas très satisfait.
Une interrogation a été soulevée par le fait que les personnages reviennent toujours dans ses tableaux. « C'est que l'être humain m'intéresse enfin de compte. » a répondu Jacques Pasquier. « Le personnage c'est l'humanité, c'est nous-mêmes, c'est un potentiel de vie que la figure humaine. »
On lui a demandé quelle est le déclic qui fait que l'on décide qu'une toile est terminée. Il nous a répondu qu'il faut faire attention de ne pas achever une toile, car il faut laisser de la place à l'imaginaire de celui qui va regarder.
Cette réponse est une bonne conclusion au petit compte-rendu de cette visite qui nous a tous enchantés.
Rédigé par Nicolas Fortin, le 15 décembre 2013.
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