Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-arts de Caen du 10 mars 2012
Le samedi 10 mars 2012, nous nous sommes retrouvés au musée des Beaux-Arts de Caen pour assister à la description du tableau intitulé « Icare » de l'artiste peintre franco-marocaine Nadjia Mehadji. C'est Isabelle Maarek, elle-même plasticienne, qui nous a présenté l'œuvre choisie pour cette troisième rencontre de la saison.
Notre conférencière nous précise tout d'abord que ce tableau, réalisé en 1985, mesure 2 mètres de haut sur 2,25 mètres de large. Elle nous explique
ensuite que de grands losanges se croisent au milieu de la toile. Quelques spectateurs voyants font toutefois remarquer qu'il s'agit plutôt de rectangles.
Ces figures géométriques sont centrées et leurs pointes atteignent presque les bords du tableau.
Le premier rectangle est blanc, en papier affiche, un peu effiloché par endroits. Un autre rectangle est posé par-dessus. Celui-ci est d'un noir très dense.
Il est recouvert en partie d'un troisième rectangle dans l'autre sens. Ce dernier est en papier de soie, ce qui laisse transparaître le noir en dessous.
En regardant cette œuvre, ce qui ressort le plus, c'est une impression de légèreté, d'aération. Ce ressenti vient sans doute de la façon dont les matériaux sont disposés, assemblés sur la toile. En fait, Nadjia Mehadji a travaillé avec des affiches plus ou moins déchirées et recouvertes de plusieurs couches de papier de soie collées les unes sur les autres, ce qui donne de la transparence et de la profondeur, accentuée par l'effet de « rides » que le papier ne manque pas de laisser lors du collage.
La forme noire a été peinte à grands coups de pinceau d'environ 8 cm de large, très désordonnés vers le haut, et beaucoup plus réguliers vers le bas, donnant à l'ensemble une sensation de chute.
L'artiste se sert également de la texture des affiches en les déchirant de façon qu'une fine pelure reste pour recouvrir la couche inférieure par transparence. En dessous, elle a frotté la toile à l'aide de papier enduit de bleu pour faire pénétrer la couleur en l'appliquant par de grands gestes circulaires.
Le haut et le bas de la toile sont constitués d'un ensemble de morceaux de papier affiche déchirés, formant des sortes de zébrures.
Les couches supérieures forment un véritable enchevêtrement de papier de soie, qui se retrouve également sur les côtés.
La couleur blanche est très présente dans ce tableau. Nadjia Mehadji trouve cette couleur très sensible et en joue en l'utilisant par transparence.
Isabelle Maarek nous cite à ce sujet une phrase de Goethe extraite de « théorie des couleurs » : « Entre la transparence et l'opacité blanche, il existe un nombre infini de degrés de troubles ». Cette phrase illustre bien le blanc de cette toile qui, avec toute cette transparence, ne donne pas dans le blanc pur. On est dans quelque chose qui flotte, qui est dans l'épaisseur. Cela donne un côté aérien à cette oeuvre.
Suit un dialogue avec le public pour recueillir les impressions des personnes voyantes présentes et répondre aux questions. Certaines personnes perçoivent ce tableau comme une représentation de l'envol, tandis que d'autres la ressentent plutôt comme la représentation d'une chute.
Ensuite, notre conférencière nous trace une petite biographie de l'artiste pour nous aider à mieux appréhender son travail. Elle nous explique que Nadjia
Mehadji a un lien très fort avec le Maroc.
L'Espagne est également un pays où elle est souvent présente grâce à sa situation géographique entre la
France et le Maroc.
Au début de sa carrière, elle dessinait beaucoup mais sans réellement trouver sa voie. C'est à l'occasion d'une résidence à Essaouira, petit port marocain, qu'elle est fortement inspirée par la fable d'Icare. En effet, les conditions étaient réunies pour l'orienter vers ce personnage mythique. La résidence dominant la mer lui offre le spectacle du soleil brillant sous un beau ciel bleu, les goélands piquant vers la mer pour la pêche. Ces images rappellent beaucoup la description faite par les auteurs du récit mythologique lorsque Icare survole la mer. Nadjia Mehadji peint alors une série d'œuvres sur ce thème. Elle a été saisie par le personnage d'Icare. Elle ne le montre pas directement mais le fait vivre par la légèreté de son œuvre.
De retour en France, elle commence à bien vendre ses toiles. Elle expose régulièrement. Elle a notamment fait partie d'une exposition récente au Centre Georges Pompidou, intitulée « elles ». Elle a aussi fait partie d'une grande exposition itinérante très appréciée d'artistes arabes qui a parcouru l'Europe.
Isabelle Maarek nous lit alors un texte de Nadjia Mehadji, puis nous distribue des morceaux d'affiches déchirées comme ceux collés sur la toile, ainsi que des morceaux de papier de soie afin que nous puissions nous représenter les matériaux utilisés pour créer ce tableau.
Après ce petit intermède, elle nous fait lecture de deux versions du mythe d'Icare. Le premier est tiré des Métamorphoses d'Ovide datant du premier siècle de notre ère. Ce texte a été réécrit à partir de l'œuvre d'Homèr qui lui, date de dix siècles avant Jésus-Christ.
Pour conclure, notre conférencière nous indique qu'en France il est difficile à un artiste de se faire connaître (on estime a 20% le nombre d'artistes qui réussissent à percer, tandis qu'en Espagne il est de 80%). Cette situation était encore plus difficile pour les artistes étrangers il y a une dizaine d'années. Actuellement, nous pouvons remarquer que les pays d'Afrique ont toujours beaucoup de mal à être représentés en France. C'est sans doute sa double nationalité qui a permis à Nadjia Mehadji de trouver sa place dans la culture française.
Ses dernières créations sont basées sur de grandes formes géométriques dans lesquelles elle peut investir la totalité de son corps. Elle utilise également le végétal notamment en se servant de craie très grasse. L'art de Nadjia Mehadji est très symbolique. Ses oeuvres font appel à nos sens : on est plus dans l'émotionnel que dans la pure esthétique, d'où la nécessité de connaître certaines clés symboliques pour mieux ressentir ce que l'artiste a voulu nous communiquer.
Rédigé par Nicolas Fortin, le 18 mars 2012.
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