Evaluation de quatre dispositifs techniques sur un carrefour complexe.

Sommaire

GRAND LYON
Communauté Urbaine
Délégation Générale au Développement Urbain
Direction des Politiques d'Agglomération
Mission Déplacements

Université Lumière Lyon 2

Laboratoire de Psychologie de la Santé et du Développement
(EA 3729)

Unité : Perception Cognition Handicap
5 avenue Pierre Mendès France
69676 BRON Cedex
France

Compte rendu

Evaluation de quatre dispositifs techniques sur un carrefour complexe
Place Jean Macé à Lyon

Professeur Serge PORTALIER
(Serge.Portalier chez univ-lyon2.fr) Université Lumière Lyon2, Laboratoire de Psychologie de la Santé et du Développement, Equipe Perception Cognition Handicap, 5, av. Pierre Mendès France

69676 Bron (France)

Résumé :

Cette expérience consiste à tester la validité de dispositifs d'aide au déplacement de personnes aveugles sur un parcours complexe de la ville de Lyon. Quarante-sept personnes aveugles ont évalué quatre dispositifs particuliers :

Les résultats convergent pour montrer que les personnes aveugles interrogées préfèrent écouter des messages clairs, en langage commun, plutôt que d'interpréter des codes sonores souvent ambigus.
L'analyse des parcours commentés, ainsi que des 1825 réponses aux questionnaires et des dessins des trajets, apporte d'autres éléments susceptibles d'améliorer l'adaptation de l'environnement urbain au bénéfice d'une meilleure autonomie des personnes aveugles.

Nos sincères remerciements à toutes les personnes aveugles qui ont participé à cette étude. C'est avec elles et pour elles que nous avons entrepris ce travail qui, nous l'espérons, améliorera leur accès à plus d'autonomie.
Cette recherche a bénéficié de l'aide efficace et de la grande disponibilité de Monsieur Duchon-Doris, Président du Comité Louis Braille, qui a mobilisé son réseau pour contacter et motiver toutes les personnes déficientes visuelles.

Des remerciements particuliers à Madame Françoise Mailler, Vice-Présidente du Grand Lyon, toujours disponible à l'écoute des personnes en situation de handicap.

Nous remercions également Madame Evelyne Carret et toute son équipe technique du Grand Lyon, au sein de la Délégation Générale au Développement Urbain, pour nous avoir aidés dans le bon déroulement de cette recherche.

Les étudiant(e)s de Licence, Master et DESS de Psychologie de l'Institut de Psychologie de l'Université Lumière Lyon 2 : Gaëlle Bertrand, Stéphane Codina, Anne-Laure Collard, Jean-Paul Durand, Olivia Fauquier, Charlotte Leriche.

Responsables de l'étude : Professeur Serge Portalier,
responsable de l'équipe Perception, Cognition, Handicap au sein du Laboratoire de Psychologie de la Santé et du Développement (Dir. : Pr. Jacques Gaucher)
Nicolas Baltenneck, Doctorant de l'équipe Perception, Cognition, Handicap, Laboratoire de Psychologie de la Santé et du Développement.

Cette étude s'est déroulée Place Jean Macé, à Lyon, en Février, Mars et Avril 2005. Elle a été financée par la Communauté Urbaine du Grand Lyon pour une somme de 3 000 € HT.

Objectif de la recherche.

Il s'agit de faire évaluer, par un public de personnes aveugles, l'efficacité de quatre dispositifs techniques de feux sonores sur un carrefour d'une grande complexité :

Population.

Cette population est composée de 15 hommes et 20 femmes. La moyenne d'âge est de 46 ans.
Parmi ces personnes, 15 sont aveugles de naissance et 20 sont devenues aveugles tardivement.
Enfin, 28 personnes utilisent la canne blanche, et 7 ont un chien-guide.
Ces personnes ont été contactées principalement par l'intermédiaire du "Comité Louis Braille", mais également par "l'Université Lyon2, Laboratoire de Psychologie de la Santé et du Développement" et "l'Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie pour les Déficients de la Vue", ce qui a permis d'obtenir un panel varié.

Méthodologie

1. - Parcours commentés sur la condition 1

Les équipements, in situ, lors de cette phase, correspondent à la norme actuelle, mais avec quelques aménagements mineurs, comme la sollicitation des synthèses vocales avec notamment des boutons poussoirs.
La technique du parcours commenté est adaptée à l'étude des comportements spatiaux, dès lors qu'on cherche à décrire et comprendre ces derniers dans leur dynamique socio-environnementale. Entendue comme des comptes-rendus de perception et d'évaluation "en action", elle permet, entre autres, de décrire et de comprendre les stratégies de déplacement des individus dans l'espace locomoteur.
La méthode des parcours commentés a donc pour objectif d'obtenir des comptes-rendus de perception en mouvement. Trois activités sont sollicitées simultanément : marcher, percevoir et décrire.
Cette expérience sur le site de la Place Jean Macé s'est déroulée avec 12 personnes aveugles dans une phase de pré-test. Elle obéit à des consignes précises. Le sujet doit faire état, aussi précisément que possible, de "l'ambiance" immédiate du lieu, telle qu'il la perçoit ici et maintenant.
Compte tenu de l'effort d'attention que demande une telle relation, le parcours a duré plus d'une trentaine de minutes, en moyenne.
Les commentaires ont été enregistrés intégralement à l'aide d'un magnétophone portable (parole digitalisée). Le parcours est effectué avec l'enquêteur à qui sont adressées les descriptions. Les corpus enregistrés à l'aide de cette technique d'enquête ont été retranscrits de manière à rester aussi fidèles que possible aux fluctuations de la parole (hésitations, relances, silences…)
La synthèse (analyse de contenu sous logiciel) a permis de construire un questionnaire le plus pertinent possible pour cette évaluation.
Il s'est dégagé 4 thèmes principaux.

- Autonomie : il s'agit d'évaluer le plus objectivement possible, la capacité de la personne aveugle à gérer son environnement dans des conditions optimums d'autonomie.
Les personnes ont donc été sollicitées pour savoir si elles seraient capables et disposées à parcourir, seules et en "toute quiétude", un espace locomoteur aussi diversifié que celui qui leur était proposé.

- Confort/stress = décision : le thème évalué ici concerne le niveau d'anxiété ou d'inquiétude engendré par la mise en situation sur le site. Il convenait alors de tester le niveau de stress mis en relation avec l'acte de mise en dynamique du déplacement. Le sujet devait estimer s'il était en disposition pour prendre la décision de traverser le carrefour ou de s'engager sur le passage avec les indications qui lui étaient fournies au moment de la mise en acte.

- Qualité du message sonore : il convenait ici d'estimer les paramètres prosodiques, mélodique, d'intensité et d'intelligibilité du message sonore. Ces éléments étaient mis en relation avec l'environnement sonore ambiant pour évaluer la capacité du sujet à extraire l'information (rapport signal/bruit).

- Perception de l'espace locomoteur : ce terme concerne tous les stimuli qui construisent la représentation mentale du parcours à effectuer. Ont été inventoriés successivement les paramètres : auditifs, tactiles (vibratoires), haptiques, kinesthésiques, vestibulaires, olfactifs, thermiques (flux sensoriels), ainsi que les informations intermodales.

2. - Questionnaire sur les conditions 2, 3 et 4

Le questionnaire, construit à partir de la condition 1, comprend 52 questions administrées à 35 sujets aveugles (1825 données). Chaque question s'élabore sur une échelle de 0 à 100 (indice référence QdV). Les données sont traitées par répartitions sur 4 sous-échelles : "Autonomie", "Confort*stress*prise de décision", "Qualité du message sonore", "Perception de la traversée" : A**C**Q**P Le calcul s'effectue sur les moyennes et écarts-types des scores. Des questions ouvertes permettent de compléter le dispositif et de préciser certains points des réponses.

3. - Représentation mentale et mémorisation

Le protocole final propose à la personne aveugle de dessiner le parcours qu'elle vient d'effectuer (technique de dessin en relief, sur feuille plastifiée avec un poinçon utilisé habituellement pour écrire sur une tablette Braille). Sa production graphique permet d'obtenir une bonne représentation des schèmes mentaux élaborés lors du test et de repérer les points du parcours susceptibles d'avoir posé problème, sans que la personne en ait une réelle conscience.
- Conditions expérimentales Trois conditions de dispositifs sonores différents ont été proposées. Elles ont été installées sous la responsabilité des services techniques du Grand Lyon.
(Cf., en annexe, le détail de la liste des messages des conditions 2, 3 et 4).

Conditions environnementales
Conditions Annonces
Conditions 2 - 8 personnes Ritournelle - "Rouge piétons contre-allée place Jean Macé"
Conditions 3 - 9 personnes Ritournelle + Ritournelle de début de vert - "Rouge piétons contre-allée place Jean Macé arrivée sur îlot plate-forme tramway"
Conditions 4 - 18 personnes Ritournelle + "Le feu piéton est vert contre-allée Jean Macé" - "Attention, le feu piéton est rouge contre-allée Jean Macé"

D'autres dispositifs sont venus se surajouter au protocole, en cours d'élaboration :

Ces dispositifs feront l'objet d'une évaluation qualitative ouverte. D'autres paramètres ont été pris en considération concernant les effets de flux sonores, environnement olfactif (sections en bordure de jardin), paramètres kinesthésiques (déclinaison des trottoirs, "bateaux"), texture au sol (grille aération du métro), effets de luminance (pour quelques aveugles partiels), paramètres thermiques (l'expérience a eu lieu en hiver à une période de grand froid).
Les variables indépendantes : chien-guide versus canne blanche, connaissance des lieux, statut locomoteur de la personne aveugle (indice d'autonomie), statut socio-professionnel, seront également intégrées dans l'analyse qualitative.
Retour au sommaire

Résultats

1. -Parcours commentés

Ce travail préparatoire a été très riche d'enseignements et constitue, à lui seul, une étude intéressante et spécifique sur l'étude des capacités des personnes aveugles à gérer leur environnement. L'analyse ci-dessous suit la décomposition des quatre thèmes telle qu'elle ressort du traitement sémantique des données des enregistrements.
- Autonomie : ce paramètre dépend pour une grande part de la personnalité de la personne aveugle et de son mode de vie.
* Il existe des personnes au profil plus dynamique, plus engagé, plus propice à prendre un minimum de risques. Egalement le style d'attribution, soit externe (ce qui m'arrive dépend des autres, de circonstances externes sur lesquelles je n'ai pas prise), soit autocentré (ce qui m'arrive, mes réussites comme mes succès, dépendent entièrement de moi) joue un rôle majeur dans la prise d'autonomie.
Exemples :

* Mode de vie : notre échantillon était composé d'un tiers de personnes sans activité professionnelle et de deux tiers en activité ou en formation (étudiant). Certains et ce ne sont pas forcément les moins actifs, ne se déplacent pas seuls sur des parcours nouveaux.
D'autres, au contraire, aiment l'exploration d'espaces inconnus. Aucun de nos sujets, dans la phase 1 comme dans les autres phases, ne sont des habitués du site, dans une fréquentation au quotidien.
Beaucoup de personnes aveugles moins actives, moins engagées dans une démarche de déplacement, souvent très isolées socialement, regrettent le peu d'aménagement de la ville pour leur faciliter une vie active. Elles ont été d'autant plus intéressées à participer à cette expérience et veulent continuer à militer pour l'amélioration des dispositifs de guidage de leur déambulation, vers plus d'autonomie.
Une politique d'aménagement envers les personnes aveugles et malvoyantes se doit d'être à l'écoute des plus silencieuses, comme des plus disertes ….

- Confort/stress = décision
Il est intéressant d'évaluer le niveau de stress confronté à l'acte de mise en dynamique du déplacement. Il existe des paramètres neurophysiologiques qu'il est difficile d'investiguer lors d'une expérimentation en situation. L'analyse a permis néanmoins de configurer un outil d'évaluation chiffrée du niveau de stress sur une échelle en 10 points. L'étude peut être envisagée en intra sujet et en inter sujets. En intra, la personne estime son niveau de stress en début de protocole et étalonne ce même niveau à partir de ce premier point, lors des différents arrêts du parcours. En inter, il ne peut s'agir que d'estimation moyennée sur un échantillon significatif de sujets, en fonction des variations du dispositif. Cette technique fait référence aux échelles de gêne, de douleur, de stress ou encore aux évaluations sur des différenciateurs sémantiques (Osgood).
D'une manière significative, les zones 2, 3 et 4 (cf. figure 1.) présentent des niveaux de stress extrêmes (traversée Tram, avenue Berthelot et Jean Macé).

- Qualité du message sonore
Il s'agit de dissocier des messages analogiques : on crée une analogie entre un bruit et un signal positif ou négatif (la ritournelle = feu vert piéton), d'autres qui utilisent un langage procédural qui indique une action (piétons, vous pouvez passer) ou un état (le feu piéton est vert).
Nous verrons dans la phase expérimentale que l'utilisation de la ritournelle pose des problèmes très importants. Il s'agit d'un code qui devrait être consensuel (au niveau d'un groupe de personnes, d'un pays comme la France, d'un ensemble de pays comme l'Europe et, enfin, un code international comme le Braille).

Dans cette phase, le bruit de la ritournelle a été confondu avec le feu de recul sonore des camions de chantier proches du carrefour ainsi que du signal d'arrivée du Tram !!!

Pour ce qui concerne les voix des messages sonores, le questionnaire devait évaluer plusieurs paramètres.
- La prosodie qui concerne la prononciation des sons, des mots, les accentuations, "la musique de la voix". Les personnes aveugles différencient bien la voix féminine de celle masculine et reconnaissent, en général, la qualité de la prononciation.
- La mélodie qui évalue la synchronie de la voix, la succession des sons et des mots ainsi que le rapport mot/pause. La vitesse de la voix est un élément prépondérant du paramètre mélodique. Sur la norme, la durée maximum des messages est de 7 secondes. Si le contenu augmente, la vitesse s'accélère et pose alors le problème de l'intelligibilité. Pour cette phase 1, aucun problème de vitesse n'a été relevé car les messages sont très courts. (4 secondes en moyenne) - L'intensité du message : le niveau sonore initial est réglable de 35 dBA à 81 dBA. Chaque appui sur la télécommande augmente le niveau sonore d'un palier (de 3 dBA). Quand les sujets de l'expérience ont été informés de ce dispositif, ils ont eu de grandes difficultés à augmenter le niveau sonore, certains appuyant plutôt avec une plus grande énergie sur le bouton que par pressions successives. La gestion de ce dispositif semble devoir être reprise et réfléchie. Un entraînement minimum est à envisager auprès des utilisateurs.

- L'intelligibilité du message sonore : elle est souvent la résultante des paramètres précédents. Elle fait intervenir d'autres registres sur le plan cognitif concernant la compréhension des termes du message.
Par exemple, plusieurs sujets n'ont pas compris le terme "contre-allée" qui ne fait pas partie de leur vocabulaire courant. Comme le concept "contre" est associé au feu rouge piéton, il est néanmoins bien intégré comme sémantiquement de valence négative.
L'intelligibilité intervient également dans la mise en relation du message avec l'environnement sonore ambiant pour évaluer la capacité du sujet à extraire l'information (rapport signal/bruit). L'ambiance sonore importante de la Place Jean Macé est au maximum à certains moments de la journée : voitures, piétons, métro, train, vélo, … et perturbe l'audition et la compréhension du message.

Si l'intensité du signal est augmentée (comme sur la plate-forme du tram, par exemple), elle perturbe alors les utilisateurs voyants, selon leur propre déclaration, lors de l'expérience.
Le traitement des questionnaires apporte des éléments complémentaires à cette analyse à partir des parcours commentés (cf. paragraphe correspondant).

- La perception de l'espace locomoteur : la navigation des personnes aveugles (Loomis, 1993) dépend largement d'habiletés spatio-cognitives (Passini et Col., 1990). Ces processus vicariants (Portalier, …) se construisent à partir de la perception et de l'intégration de tous les paramètres sensoriels de l'environnement.
· auditif : cette modalité est l'une des plus investie dans cette procédure expérimentale, d'abord en référence aux messages sonores, ensuite par rapport aux bruits environnants, enfin tous les autres sons qui alimentent le fond sonore. Les deux premiers vont faire l'objet essentiel de l'étude. Le dernier est moins présent, ce qui ne veut pas dire moins important. Les personnes testées parlent du bruit des oiseaux (sur la zone 1, le chemin borde un jardin), du flux des voitures, du fond sonore produit par le train qui passe en zone haute et qui forme une sorte de caisse de résonance dans la zone 3.
La notion de flux auditif doit être retenue car c'est un paramètre significatif qui permet un point de repère important dans le déplacement.
Le bruit des voitures permet de connaître l'arrêt, le démarrage, la progression dans les différentes directions, des véhicules et se révèle comme un bon indicateur pour la personne aveugle.
Exemple :

· tactile + haptique : l'utilisation de la canne blanche permet la perception des textures au sol avec un contact, soit passif soit actif (système haptique avec kinesthésie du bras et positionnement de la main sur le pommeau de la canne). Ces informations ont pour but de capter la saillance soit des bandes podotactiles, soit des bandes d'éveil de vigilance et d'orientation. Le niveau de saillance est donc un élément important, mais la bande doit être positionnée sur une surface suffisamment grande pour prendre en compte l'aller et le retour du mouvement de la canne pendant que le sujet se déplace. Cette surface tactile s'est avérée fréquemment trop étroite et plusieurs personnes n'ont pas perçu cette bande. Il serait intéressant d'envisager de lui associer une information sonore (les grilles d'aération du métro sont bien perçues car le frottement de la canne dessus produit un bruit très significatif).

· Kinesthésique + vestibulaire : ce paramètre est souvent rappelé par les personnes qui bénéficient d'un chien guide. Celui-ci anticipe les obstacles et permet de pré-voir les chocs. Par ailleurs, le harnais intègre les mouvements de l'animal qui sont alors transmis à la personne aveugle. Pour ceux qui utilisent la canne, ces sens permettent de percevoir finement les dénivelés du sol, en particulier lorsque les trottoirs s'abaissent à l'approche d'un passage.
Ce dénivelé du trottoir à l'approche d'un passage a très souvent été rappelé comme un paramètre de guidage très important.

Exemple : "Je laisse le bout de ma canne glisser le long du trottoir. Lorsqu'il s'abaisse alors légèrement, il me renseigne de l'approche du passage piéton".

· olfaction : les stimuli olfactifs guident nos perceptions d'une manière plus subtile, mais aussi efficace. Un nombre non négligeable de personnes aveugles nous a fait part de ces paramètres : odeur des gaz d'échappement (pollution !), senteurs des plantations du jardin qui jouxte le parcours, odeurs du café bar qui borde le premier croisement, effluves humaines émanant de la foule, …. Il serait intéressant d'introduire de réels codes olfactifs (une nouvelle norme !!!) qui permettraient le repérage de certains éléments de l'environnement urbain.

· Thermique : lorsque le soleil "frappe" le visage de la personne aveugle, cette information lui permet de s'orienter pour une meilleure "navigation spatiale". Durant l'expérience, le temps était hivernal et, seul le dernier jour, ce paramètre a pu influencer l'efficacité du déplacement. En revanche, le vent froid soufflant du Nord au Sud donne la direction et permet une déambulation la plus rectiligne possible, en particulier sur la première zone 1.

· Cognitif : ce point a déjà fait l'objet d'un commentaire sur l'intelligibilité des messages. Un autre aspect concerne la mémoire, en particulier celle qui s'appuie sur tous les paramètres précédents. IL s'est avéré que les personnes aveugles évaluées dans cette phase deviennent plus efficientes à mesure que se déroule le parcours. Cet effet d'apprentissage reste néanmoins moindre. Il nous a obligé à refuser d'utiliser le même échantillon pour les 4 phases du protocole.
Les parcours commentés ont donc permis la constitution d'un questionnaire équilibré, assez ouvert pour permettre une analyse qualitative des effets différenciés des dispositifs mais aussi précis pour quantifier les éléments significatifs.

2. - questionnaire sur les conditions 2, 3 et 4

Dans cette partie, nous analyserons successivement, les résultats aux questions réparties selon les critères prédéfinis, les échelles de stress, l'anxiété liée à la traversée, l'appréciation des enregistrements vocaux, les indices pertinents pour la traversée.

2.1. Analyse des réponses aux questions

Le questionnaire, comprend 52 questions administrées aux 35 sujets aveugles (1825 données).
Chaque question s'élabore sur une échelle de 0 à 100 (indice référence QdV). Les données sont traitées par répartitions sur 4 sous-échelles : "Autonomie", "Confort*stress*prise de décision", "Qualité du message sonore", "Perception de la traversée" : A**C**Q**P.
Le calcul s'effectue sur les moyennes et écarts-types des scores.

Retour au sommaire

Analyse statistique

Les données sont traitées par le logiciel "StatBox v 6.5", avec le test de Mann Whitney.
"Condition 2" VS "Condition 3" :
Différence non significative (P=.05)

"Condition 2" VS "Condition 4" :
Différence significative (P=.05). Condition 4 > condition 2

"Condition 3" VS "Condition 4" :
Différence significative (P=.05). Condition 4 > condition 3

"Condition 2+3" VS "Condition 4" : Différence significative (P=.05). condition 4 > Condition2*condition3

La sous-échelle C (Confort*stress*prise de décision) est la plus saturée pour les trois conditions expérimentales.
La sous-échelle Q (Qualité du message sonore) est la moins saturée, en particulier pour les conditions expérimentales 2 et 3.

2.2. Analyse des informations fournies par les échelles de stress

Nous avons inclus dans notre questionnaire, une évaluation systématique du "niveau de stress ressenti" par les personnes évoluant sur le parcours expérimental, place Jean Macé.
Pour chaque sujet, cette mesure a été faite à cinq reprises, après chaque traversée de la chaussée. Il était alors demandé au participant d'évaluer son niveau de stress sur une échelle de 1 à 10, le 1 correspondant à un état "très décontracté", et le 10 correspondant au "maximum de stress".

Nous proposons de faire une analyse de ces données selon deux axes. Nous allons d'abord comparer les niveaux de stress évalués en fonction de chaque condition environnementale.
Puis, dans un second temps, nous allons évaluer les variations de niveaux de stress à l'intérieur même du parcours qui a été défini.

a - Niveaux de stress en fonction des conditions environnementales (Conditions 2, 3, 4).

On constate donc que le niveau de stress le plus élevé (3,178) correspond à la condition 3. Le niveau de stress le plus faible (2,492) fait référence lui à la condition 4. La condition 2 (la norme actuelle) correspond à un niveau de stress moyen de 2,758.

b - Niveaux de stress en fonction de la traversée effectuée. Nous avons également analysé le niveau de stress des participants en fonction de chaque partie du parcours. Nous rappelons ici que le parcours défini sur la place Jean Macé est divisé en "5 traversées" successives de la chaussée, certaines comportant des voies de tramway, d'autres des îlots.

On remarque que le niveau de stress mesuré est le plus important pour la première traversée (3,40), qui comporte une voie de Tramway. On constate aussi que le niveau de stress baisse globalement tout au long de l'évolution dans le parcours expérimental.

L'analyse statistique met en évidence une différence significative entre la traversée 2 et les traversées 5 et 6. On observe, également, une différence significative entre la traversée 3 et la traversée 6.
Ces résultats iraient donc en faveur d'une habituation de la personne qui parcourt le trajet place Jean Macé, avec un niveau de stress significativement plus élevé en début de parcours, puis un niveau de stress significativement plus faible en fin de parcours.
En revanche, ces résultats ne nous permettent pas de mettre en évidence un niveau de stress plus élevé pour les traversées comportant des voies de Tramway, par exemple.

2.3. Appréciations des voix par les 35 participants de l'étude.

Dans notre questionnaire, nous avons demandé aux participants si les voix utilisées pour le système de feux sonores leur étaient agréables.
On constate que 40% des personnes interrogées ont trouvé les voix tout à fait agréables.
Cependant, 34.29% des participants sont moyennement satisfaits et 5,71% ne le sont même pas du tout. Lors des phases expérimentales, les personnes nous ont très souvent fait les remarques suivantes :

2.4. Indices utilisés préférentiellement pour détecter une traversée.

Notre questionnaire comporte une question visant à connaître quels sont les indices servant préférentiellement à une personne aveugle pour détecter une traversée.
Grâce aux parcours commentés, nous avons pré-établi une liste de quatre types d'indices les plus utilisés, provenant notamment des informations sonores (voitures, piétons) ou tactiles (trottoirs, bandes podo-tactile…).
On constate que les bruits provenant de la circulation des voitures sont le moyen le plus fréquemment utilisé pour appréhender une traversée (1,618). Cela n'est guère étonnant, puisque les instructeurs en locomotion enseignent aux aveugles des méthodes d'orientation et de déplacements basées sur ces éléments auditifs.
Les bordures de trottoirs sont aussi très employées (2,588). Cela correspond probablement à l'utilisation massive de la canne blanche, qui permet de faire une lecture du sol très fine.
Viennent ensuite les bandes d'éveil de vigilance, qui sont peut-être moins adoptées puisqu'elles ne sont pas encore disposées à chaque traversée.
Les sons provenant des déplacements des autres piétons sont moins pris en compte, car probablement moins fiables (les personnes qui se lancent dans une traversée au rouge, en courant) et moins perceptibles au niveau auditif.
Ces résultats nous montrent bien la grande importance des informations auditives lors des déplacements des personnes aveugles. Les systèmes de signaux sonores sur les feux piétons sont donc une aide très adaptée pour se déplacer et prendre la décision de traverser.
Néanmoins, nous pouvons aussi signaler qu'il est important que ces systèmes, qui viennent se surajouter au paysage auditif perçu par les aveugles, ne doivent pas venir interférer avec les autres informations. Ainsi, le volume sonore doit être suffisamment puissant certes, mais doit aussi laisser la possibilité d'entendre les bruits environnants qui sont des indices supplémentaires extrêmement précieux. Les participants ont exprimé cette difficulté, notamment lors des Conditions 2 et 3 où la "ritournelle sonore" qui était activée sur différentes traversées de la Place Jean Macé, envahissait et troublait l'ensemble des perceptions auditives. Dans cette situation, il était extrêmement difficile d'entendre le bruit des véhicules qui se déplaçaient sur la chaussée.
Enfin, comme nous l'avons déjà vu, les signaux utilisés doivent être suffisamment discernables et clairs pour pouvoir permettre aux utilisateurs de prendre la décision de traverser la chaussée. Là encore, lors de la Condition 2, nous avons remarqué à plusieurs reprises que la "ritournelle sonore" pouvait être confondue avec le signal de recul d'un camion, ou encore avec le signal du Tramway.
On peut donc se demander si le son qui est utilisé est suffisamment discernable et fiable pour prendre la décision de se lancer sur la chaussée sans risques ?

2.5. Conclusions

La Condition expérimentale 4 présente le meilleur dispositif sonore par rapport aux autres conditions.
La Condition 3 est celle qui a été évaluée comme la moins favorable (charge cognitive importante, traitement du signal plus difficile).
Les données recueillies auprès de 47 personnes aveugles permettent de dire que les messages en langage procédural sont mieux intégrés que ceux plus analogiques (Condition 4 > Condition 2).
Par ailleurs, les informations qui couplent les deux types de messages (Condition 3) n'apportent pas d'amélioration significative.
Les mesures complémentaires de niveau de stress vont dans le même sens que les résultats que nous avons obtenus avec le questionnaire. Ils permettent aussi de mettre en avant un phénomène d'habituation au fur et à mesure du cheminement des participants sur le parcours Place Jean Macé.

3. - Représentation mentale et mémorisation

A la fin du parcours, on propose à la personne aveugle de dessiner le trajet qu'elle vient d'effectuer (technique de dessin en relief, sur feuille plastifiée avec un poinçon utilisé pour écrire sur une tablette Braille). Sa production graphique permet d'obtenir une bonne représentation des schèmes mentaux élaborés lors du test et de repérer les points du parcours susceptibles d'avoir posé problème.

Pour analyser les dessins, plusieurs analyses sont entreprises :

Commentaires
Nous avons été étonnés et positivement surpris de l'accueil intéressé, parfois enthousiaste, des personnes aveugles quand nous leur avons proposé de dessiner, en relief, leur parcours. L'étude des dessins révèle de réelles potentialités graphiques chez ces dessinateurs aveugles. Ce dispositif semble très prometteur pour des études futures sur la représentation de l'environnement urbain.

a. Qualité du dessin évaluée en nombre de points pour chacune des zones dessinées.
C'est la Condition 4 qui présente les dessins les plus élaborés. Faut-il en déduire un lien direct avec la pertinence des dispositifs d'information proposés ? Sûrement, en particulier parce que les personnes aveugles se représentent plus facilement leur environnement quand les indices sont clairs. Egalement, il est possible de penser que libérées des contraintes cognitives d'un déplacement trop périlleux, elles peuvent mobiliser un travail d'imagerie plus efficace. Les résultats ne sont interprétables que dans la seule comparaison significative des Conditions 2*Conditions 4 (T de Student significatif à P.01).

b. Evaluation des trajectoires directionnelles du graphisme par l'analyse de la prise en compte des angles droits.
C'est encore la Condition 4 qui fournit des dessins les mieux disposés sur le plan de la navigation spatiale. Cette fois, la différence est significative entre chacune des trois Conditions. Dans le détail de l'analyse des dessins, 3 d'entre eux ont révélé un graphisme en miroir !!! (les personnes se rappellent avoir tourné à gauche plutôt qu'à droite). Il semblerait que le changement de position du testeur puisse induire cette confusion (il interroge la personne à sa droite, puis à sa gauche). Pour de futures expérimentations, ce biais serait à contrôler.

c. Le double trajet permettait de savoir si les personnes testées avaient eu conscience de refaire le même trajet, mais en sens inverse (zone 1 et Zone 6). A notre grand étonnement, beaucoup de personnes aveugles n'ont pas perçu cet aller-retour. Ce phénomène pourrait s'expliquer avec une difficulté à mettre en mémoire immédiate la première zone du trajet, un peu comme si la traversée de la voie du tram et de l'avenue Berthelot allait mobiliser toutes les représentations mentales. Le points e) va d'ailleurs confirmer cette hypothèse.

d. La jonction qui boucle le rectangle du carrefour Berthelot-Jean Jaurès est un autre indicateur de la représentation spatiale du site. Contrairement à l'évaluateur précédent, les personnes aveugles se représentent bien l'ensemble du carrefour comme une entité fermée, cohérente pour sa disposition en croix (diagonale du rectangle). L'analyse ne révèle pas de différence significative selon la condition.

e. Cet indice de proportionnalité peut être un bon évaluateur de la représentation globale et harmonieuse de l'ensemble du trajet.
L'analyse statistique (khi2 P.01) révèle des différences significatives entre le parcours réel et celui représenté pour les trois Conditions. Systématiquement, la longueur du parcours rectiligne (Zones 1 et 6) de début et de fin est sous-estimée au bénéfice de l'augmentation des zones du carrefour principal (Berthelot-Jean-Jaurès). Cette disproportionnalité est moins accentuée pour la Condition 4. Cette constatation corrobore l'étude sur les niveaux de stress. Les personnes aveugles ont donc tendance à sur-représenter les portions de parcours qui leur ont posé des problèmes. Ce point valide l'utilisation pertinence du dessin en relief dans les techniques d'évaluation objective des dispositifs adaptés pour l'amélioration du déplacement des personnes aveugles dans la ville.

f. Comparaison des dessins de personnes aveugles avec canne blanche ou chien guide.
L'échantillon n'est pas suffisant pour déboucher sur des éléments différentiels significatifs. Pourtant, l'analyse des productions montre une meilleure qualité des productions chez les personnes avec canne. Un peu comme si le chien guide supplée plus efficacement au déplacement et libère la personne aveugle du travail d'imagerie mentale pour sa navigation. Ce point demandera une élaboration expérimentale plus étayée.

Conclusion générale

L'aménagement de la cité au bénéfice de tous et, en particulier des personnes handicapées, suppose d'entendre avec respect et attention le souhait des usagers eux-mêmes. Cette expérience a donné la parole à près d'une cinquantaine de personnes aveugles sur le projet d'aménagement d'un carrefour très complexe de la ville de Lyon.
Cette enquête montre que plusieurs paramètres sont à considérer selon le profil spécifique de la personne qui ne voit pas. La réponse n'est pas simple, unique et définitive. Elle dépend du sujet lui-même, de son projet de vie, ainsi que de la complexité de son environnement.
L'ensemble du système sensoriel va suppléer au manque de vision pour instrumenter une démarche originale dont cette étude relate les points essentiels.
Concernant d'abord l'environnement sonore et en particulier les différents messages associés aux feux tricolores des carrefours, les résultats montrent que les personnes aveugles sont capables d'entendre et de comprendre des messages constitués de phrases courtes, claires, en langage commun sur les deux phases "rouge" et "vert" et qui les renseignent sur les lieux exacts, ainsi que sur l'état de la circulation.
La norme concernant ces dispositifs existe, elle peut être aménagée pour une meilleure appréhension globale des informations.
Ensuite, les réponses aux questionnaires révèlent que les personnes aveugles utilisent plusieurs paramètres sensoriels qui viennent compléter et étayer les dispositifs sonores. Il faut en tenir compte lorsqu'il s'agit d'aménager les espaces de déplacement.
Cette recherche a permis, enfin, la rencontre très passionnante de personnes de qualité qui, au-delà de leur handicap, nous ont beaucoup enrichis.

Pour l'équipe de recherche :
Professeur Serge Portalier et Nicolas Baltenneck

Lyon, le 26 avril 2005

Bibliographie

Grojean M., Thibaud J. P. (2001). L'espace urbain en méthodes. Marseille : Edition Parenthèses.

Loomis J.M. and Col. (1993). Nonvisual navigation by blind and sighed : Assessment of path integration ability. Journal of Experimental psychology, 122, 73-91.

Moser G., Weiss K. (2003). Espaces de vie. Aspects de la relation home-environnement. Paris : Masson.

Passini R. and Col. (1990). The spatio-cognitive abilities of the visually impaired population. Environment and Behavior, 22, 91-118.

Retour au sommaire

***