Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts de Caen le 18 octobre 2014

Le samedi 18 octobre dernier, le musée des Beaux Arts proposait une nouvelle visite descriptive autour d'une œuvre des collections. La conférence portait cette fois sur un tableau de Frans Snyders intitulé « Intérieur d'office ».

Pascale FISZLEWICZ nous a accueillis et guidés jusqu'au tableau. Pour franchir la grande porte du rez-de-chaussée, nous avons dû passer sous une bâche en plastique reproduisant les œuvres de Christo. L'objet de notre visite se trouve juste dans le couloir, sur une cimaise entre deux grandes baies vitrées. Pascale, qui avait bloqué le passage spécialement pour nous, nous avait installé un petit banc, qu'elle avait elle-même porté jusque-là.

Une fois tout le monde assis, notre conférencière nous a distribué les supports tactiles en vernis. Puis elle nous a fait remarquer que, le tableau étant installé face à l'ouverture d'une des salles du musée, on peut l'observer avec beaucoup de recul depuis cette salle. Il faut dire que le tableau fait environ 2,40 mètres sur 2,30 mètres. C'est donc un très grand tableau du peintre Frans Snyders, originaire de la grande ville flamande d'Anvers, ville de Rubens. Il était d'ailleurs un collaborateur de Rubens, en tant que spécialiste des peintures d'animaux, et en particulier des oiseaux. Frans Snyders, comme Rubens, étaient des représentants de cette Peinture flamande baroque qui, dans la peinture, veut rendre la vie, que le tableau soit un morceau de vie captée. Aussi, sur cette grande toile, le peintre a projeté sur le tableau de nombreux animaux, mais aussi des fruits et des légumes.

L'œuvre s'intitule « intérieur d'office », c'est-à-dire cette petite pièce attenante à la cuisine, où on dépose toutes les denrées qui seront consommées au cours du repas. Le tableau est le reflet d'une table princière. On appelle ces représentations d'animaux morts, de fruits et de légumes des « natures mortes ». Mais, en Hollande, on les appelait « stilleven » ce qui signifie « nature silencieuse ». Cela veut dire que ces natures mortes n'ont certes pas la parole, mais elles sont très vivantes.

Pascale FISZLEWICZ nous prévient d'emblée : le tableau est tellement riche que la description risque d'être très compliquée.

Elle commence par planter le décor : la table. Elle est dans la moitié inférieure du tableau et occupe les trois quarts gauche de la toile.
Elle est recouverte d'un tapis rouge. C'est là un autre aspect qui frappe dans l'œuvre de Snyders : la couleur. Ici, la couleur rouge, couleur du sang, caractérise la vie. C'est un tableau digne des impressionnistes, extrêmement coloré. Cette nappe rouge est bien installée. C'est grâce à deux petits plis créant de l'ombre et de la lumière qu'on sait qu'il s'agit d'un tissu.

Ici, l'office est une pièce un peu particulière car, sur le mur de droite, sont alignés des piliers, avec une moulure dans la partie supérieure. Le pilier le plus à gauche forme une longue ligne verticale séparant le tableau en deux. Il soutient une arche qui, sur la gauche, forme une grande fenêtre qui ouvre sur le ciel.

Sur la table, trône un cygne. C'est l'élément qui frappe d'emblée car il est installé sur le dos, ailes déployées dans la partie supérieure, comme des ailes d'ange. Son long cou pend le long de la table, de sorte que sa tête touche presque le sol. Sur la droite, l'aile du cygne se déploie un peu moins car il y a un plat, festonné et décoré. Sur ce plat, il y a un gros homard rouge. Sur la droite, ses pinces dépassent du plat, et, sur la gauche, touchant même le ventre du cygne, sa queue dépasse aussi. Toujours sur le plat, juste derrière le homard, il y a un bol avec des framboises, d'un rouge un peu plus foncé. Ce plat repose en équilibre sur un melon, caché dans l'ombre, derrière l'aile du cygne. Ainsi, participent de la vie de ce tableau non seulement les couleurs, mais aussi la composition, en équilibre instable, qui donne le sentiment que le peintre a représenté un instant.

Toujours sur la table, mais du côté gauche, il y a un paon aux couleurs chatoyantes. Sa tête est sur la gauche, avec un petit plumet. Son ventre est de couleur bleue et ses ailes, vertes sur la partie latérale, sont d'un brun un peu tacheté. Sa queue barre le tableau en diagonale vers le haut à droite. Elle part de l'aile gauche du cygne et réapparaît au-dessus du plat de homard, dans l'angle de l'office, presqu'au niveau de la moulure du pilier. On voit bien l'œil des plumes de la queue du paon.

A propos de ces plumes de paon, Pascale fait un aparté pour nous conter leur histoire. Dans la mythologie romaine, Jupiter, époux infidèle de Junon, courtisait une belle jeune fille, Io. Mais pour que sa femme ne s'aperçoive pas de son infidélité, il avait transformé Io en génisse.
Cependant, Junon qui n'était pas dupe décida de faire garder cette génisse par Argus aux cent yeux. Jupiter envoya alors Mercure pour délivrer Io. Mercure charma Argus pour l'endormir afin de mieux le tuer. Pour remercier Argus de sa fidélité, Junon prit chacun de ses cent yeux et les déposa sur les plumes de son animal fétiche, le paon. C'est ainsi que depuis ce jour le paon porte sur les plumes de sa queue les cent yeux d'argus.

Mais revenons au tableau. Juste à côté du paon, il y a un saladier, en faïence décorée, rempli de fraises. Ces fraises sont d'un rouge plus clair que les framboises. Ce plat, un peu de guingois, contribue à renforcer l'impression de déséquilibre.
Juste en-dessous il y a un beau citron, d'un jaune éclatant. On aperçoit deux autres citrons mais coupés par le bord du tableau. Et juste au milieu de ces trois citrons, trône une botte d'asperges, vertes et blanches. Pascale décompte onze asperges. Elle évoque à ce sujet une anecdote à propos de Manet. Ce grand peintre réaliste du 19ème siècle, à la fin de sa vie, aimait à peindre des natures mortes. Il avait fait pour l'un de ses mécènes un tableau représentant une botte d'asperges, devenu très célèbre. Car il était revenu à la tradition de la nature morte réaliste du 17ème siècle. Son commanditaire était si content du tableau qu'il le paya bien plus que prévu. Alors Manet le remercia en lui renvoyant un petit tableau, avec une seule asperge, et un mot qui disait : « il manque une asperge à votre botte ».

Derrière le paon, les fraises et la botte d'asperges, il y a un grand plat en terre godronné recouvert d'une planche de bois. Sur la planche de bois, est posée une tête de sanglier coupée. Sa gueule est ouverte de façon qu'on voie ses dents et la langue qui pend. Cette hure de sanglier a quelque chose de triste.
Entre la planche de bois et la gueule du sanglier, sont posées des bécasses au long bec très pointu. Le bec de l'une d'elles dépasse de la planche, projetant une ombre portée. Et cette ombre forme comme un rappel des gouttes de sangs qui tombent de la tête du sanglier.

Au-delà de la table, sur la droite, il y a le mur de l'office. Or l'artiste a investi dans ce tableau tout l'espace pour donner une impression de foisonnement. Il a donc utilisé cet espace à droite, au bout de la table. Il a accroché au plafond un chevreuil. Au milieu du ventre du chevreuil, il y a un grand trou car il a été éviscéré.
L'animal est accroché par les pattes à un croc de boucher. Ses pattes avant pendent dans le vide, et ses bois touchent presque le homard.

En-dessous du chevreuil, le long du bord droit du tableau, est représentée la tête d'un chien. Il a la gueule ouverte, la langue rouge dressée vers le chevreuil et les petites gouttes de sang qui en tombent.

Dans le tiers inférieur du tableau, entre le chien et la tête pendante du cygne, un butor est posé sur un héron. Le héron cendré a un cou aussi long que celui du cygne, mais blanc et noir. Il a un bec très effilé, de couleur jaune. Son aile se déploie à la verticale. On peut en distinguer toutes ses plumes dans une belle courbe qui se déploie sur le rouge de la nappe, jusqu'au cou du cygne. C'est un rappel, mais en gris, de l'aile du cygne. Derrière l'aile, on aperçoit les feuilles d'un légume, un peu dans l'ombre. Et au-dessus de l'aile, il y a un melon entamé, dont on voit les graines et l'intérieur un peu rosé.

Entre l'aile du héron et la tête du cygne, sont posés deux artichauts.
Un troisième est situé de l'autre côté de l'aile du héron.

Quant au butor, il repose sur le héron, au-dessus de ce troisième artichaut. Son cou est beaucoup moins fin mais son bec est très acéré, un peu vert. Le plumage du butor est brun, tacheté de noir. Dans la partie supérieure, on aperçoit ses pattes attachées. L'une de ses ailes est déployée jusqu'à la tête du chien.
L'artiste a rendu avec beaucoup de réalisme la douceur, le duveté des plumes de tous ces oiseaux.

Dans l'angle inférieur gauche, on trouve deux paniers en osier. Le plus grand, sur la gauche, est tressé serré, et possède une anse. Il est rempli de gibiers : des perdrix et un lièvre dont on aperçoit les oreilles pendantes et l'œil grand ouvert. Là aussi le peintre a rendu avec un grand réalisme le soyeux du pelage du lièvre. Le détail des perdrix est également très bien rendu avec des couleurs d'automne, brun, blanc et gris. On en voit une sur la droite du lièvre, une autre sur sa gauche, et deux sur son ventre.

Le second panier, tressé de façon ajourée, avec deux poignées, est rempli de fruits. Au premier plan, on remarque une superbe grappe de raisin d'une grande transparence, pleine de reflets. Il y a aussi des coings, de couleur jaune, des pêches de vigne aux reflets rouges, des pommes rouges, une poire jaune, et d'autres grappes de raisin noir derrière. Au-dessus de ce raisin noir, deux grappes de raisin blanc avec une pomme rouge entre les deux, et une branche pleine d'abricots qui repose sur un gros melon. Entre le melon et le raisin il y a deux poires, dont une déborde du panier. Là encore le panier, posé parterre, repose de guingois en partie sur la queue d'un des artichauts.

Entre ces deux paniers foisonnants, repose une brochette de treize ortolans. Ces petits oiseaux sont tous d'espèces différentes, donc de couleurs très variées. Le premier est jaune d'or, le suivant jaune citron, puis un au ventre rouge, un autre brun, puis un marron un peu gris. La brochette continue avec un oiseau rose parme à la tête rouge, un jaune aux ailes noires, un rouge, un jaune, un brun et pour finir un rouge.

Ces treize petits oiseaux de toutes les couleurs sont convoités par un petit chat, qui fait écho au chien, et qui est représenté juste en-dessous de la tête du lièvre. On aperçoit sa petite langue rouge et ses deux canines. Un peu sur sa droite, devant le panier de fruits, sur le sol de tomettes, on voit quatre grains de raisin égarés.

Enfin, pour parfaire cette description, Pascale nous explique que dans l'angle supérieur gauche, derrière la queue du cygne, il y a un homme dont on ne voit que la partie supérieure. Il est habillé comme un valet, avec une collerette blanche. Il est de profile. Dans sa main gauche, bras pliée, il tient une branche d'abricots, comme celle du panier au sol. Sa main droite tend une autre branche d'abricots à deux perroquets, perchés sur une tringle au-dessus de la fenêtre. Celui qui est sur la droite se tient bien droit. Il est multicolore : sa tête est rouge, ainsi que le haut du corps, puis sa partie médiane est verte avec un peu de noir, et enfin, sa queue bifide est un mélange de rouge, bleu et vert. L'oiseau de gauche se penche pour picorer un abricot. Il est tout vert et a une plus petite queue. Pascale nous fait remarquer que le vert est une couleur symbole de la vierge.

On peut d'ailleurs relever de multiples symboles dans le tableau, comme le cygne qui forme comme une croix, ou ces innombrables nourritures terrestres qui invitent à penser à la vie après la mort.

Ces natures mortes propres au 17e siècle invitent à penser à une nourriture spirituelle dans la parole du Christ.
Le tableau est aussi un symbole de l'atelier du peintre, avec toutes ces couleurs qui sont comme autant de palettes.
Le perroquet lui-même est un symbole de l'imitation de la nature. Et là, le peintre a répété ce qu'il a vu.

Ce tableau, qui date de 1635, est une des plus belles œuvres de Frans Snyders. C'est un peintre qui a révolutionné la peinture des natures mortes en lui donnant ses lettres de noblesse. Ses grandes toiles seront à l'origine d'un genre qui va se déployer intensément par la suite. Au 18e siècle, les peintres réaliseront de plus petites toiles, se spécialisant dans la représentation de gibier, ou de fruits et légumes. Par exemple, en Espagne, des natures mortes, appelées Bodegones, étaient accrochées dans les sacristies des églises pour leur dimension symbolique. Le raisin, notamment, symbolise la rédemption. Le Cardinal Federico Borromeo, archevêque de Milan, a commandé à Bruegel de velours des peintures de fleurs. Snyders, lui, était spécialiste des oiseaux.

Cette œuvre du musée de Caen est l'une des plus grandes de Snyders.

C'est ainsi que Pascale achève la visite descriptive, particulièrement riche, de cet « intérieur d'office ». Le prochain rendez-vous est fixé au samedi 6 décembre.

Rédigé par Emmanuelle Gousset, le 25 octobre 2014.

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