Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux Arts de Caen du samedi 18 juin 2011

Le samedi 18 juin dernier, le musée des Beaux Arts de Caen organisait, dans le cadre des Buissonnières, une nouvelle descriptive. L'œuvre étudiée était cette fois une sculpture " le grand guerrier " d'Antoine Bourdel.

Nous étions 4 déficients visuels et 3 accompagnateurs voyants. Pascale étant souffrante, c'est Anne-Sophie Bertrand qui a réalisé la visite. Et comme le temps était pour le moins incertain, nous nous sommes installés dans un petit hall, face à la porte donnant sur la sculpture.

Anne-Sophie nous a tout d'abord expliqué la présence de ces sculptures dans le parc du Château. Durant la seconde guerre mondiale, seules les peintures avaient pu être mises à l'abri. Les sculptures, elles, ont toutes été détruites lors des bombardements. Par la suite, les fonds alloués pour la reconstitution du musée ont été investis quasi exclusivement dans la peinture. C'est pourquoi en 2005, Patrick Ramade, conservateur en chef du musée, a choisi de mettre à profit l'espace du parc du Château pour y exposer des sculptures monumentales. Le Grand Guerrier d'Antoine Bourdel est la première que l'on voit sur la gauche en arrivant par la grande porte. Il s'agit d'une sculpture de bronze, dans une teinte brune patinée, brillante. Elle repose sur un socle d'environ 50 cm de côtés, en pierre de Caen. Elle représente un homme, de la tête aux genoux, ce qui représente environ 180 cm. Le bras gauche est tendu à l'horizontale sur sa gauche, et le bras droit replié derrière sa tête, d'où une envergure de près de 170 cm. Ses jambes sont légèrement écartées, comme pour une amorce de mouvement vers la droite.
Le torse, d'une épaisseur de 50 cm, et la tête sont quant à eux plutôt tournés vers la gauche. Cette torsion des mouvememts donne du dynamisme à la figure.

Ce qui saute en premier aux yeux du visiteur, c'est la musculature de ce guerrier. Hormis un petit drapé de pudeur, il est nu, ce qui permet de voir tous ses muscles, dessinés à l'excès. C'est donc une figure très massive et tout en reliefs.

L'autre élément marquant de cette sculpture, c'est ce bras gauche tendu, d'une longueur là aussi excessive. La main est grande ouverte, les doigts très écartés, et la paume tournée vers l'arrière. Son bras droit est replié derrière la tête, le poing serré sur une arme, dont on n'aperçoit que la garde et le début de la lame. On imagine donc que ce guerrier est en train de prendre son élan et s'apprête à frapper.

La tête, elle, semble toute petite sur ce corps colossal. Elle est un peu engoncée dans son bras plié, le menton rentré dans son cou, comme dans un mouvement de recul. La tête est légèrement renversée vers l'arrière, la bouche ouverte. Le visage est assez classique et le regard vide. Cependant, on peut y lire une expression d'effroi.

Cet homme est une allégorie du guerrier. Il ne porte ni uniforme ni drapeau permettant de l'identifier, de savoir à quel camp il appartient. C'est une figure idéalisée de n'importe quel héros ou n'importe quelle victime de la guerre. Cette sculpture est en réalité une étude pour un monument réalisé par Antoine Bourdel à Montauban, ville dont il est originaire.

Antoine Bourdel, né en 1861, quitte l'école à 12 ou 13 ans pour rejoindre l'atelier de menuiserie de son père. Puis à 15 ans, il intègre l'école des Beaux Arts de Toulouse. Il entre ensuite à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans l'atelier de Falguière . Mais l'enseignement trop accadémique de ce dernier ne lui convient pas et il abandonne cette place. En 1893, il est engagé comme praticien chez Rodin, c'est-à-dire comme assistant.

En 1895, la Société des Anciens Combattants de Montauban décide de faire ériger un monument à la mémoire des anciens combattants de la guerre de 1870. Elle lance un concours ouvert aux artistes originaires de la ville. Antoine Bourdel décide de concourir et ce sera sa première commande publique. Il choisit alors de réaliser une œuvre personnelle, bien distincte de Rodin, en déformant le corps de ses personnages.

Pour sa première commande, Antoine Bourdel a réalisé de très nombreuses études (de mains, de têtes, etc.). Le Grand Guerrier, exposé dans le parc du Château de Caen, est l'une de ces études. La posture de cet homme s'inspire de deux figures assez connues : La Défense, de Rodin, et La Marseillaise, de Rude, qui orne l'Arc de Triomphe.

Le monument final, à Montauban, est en réalité constitué de trois figures, qui représentent chacune un moment de la guerre. L'assaut est évoqué par une femme qui semble brave, courageuse. Le Grand Guerrier représente le combat, et un autre soldat en train de choir figure la mort. A propos de ce monument, Bourdel écrit qu'il veut « rendre tous les soubressauts de la créature humaine, avec un bras de désespoir qui égratigne le ciel, disant la tragédie de mourir ».

A Paris, la presse est extrêmement critique face à cette œuvre très différentes du style de Rodin. Mais ce dernier va défendre son élève en disant que Bourdel régénère la sculpture. En septembre 1902, le monument est installé à Montauban où il se trouve toujours.

Après cet exposé, profitant d'une éclaircie, nous nous sommes déplacés jusqu'au pied de la sculpture pour pouvoir la toucher. Anne-Sophie a profité de cette occasion pour nous expliquer la méthode de travail de l'artiste. En premier lieu, Antoine Bourdel a fait un dessin. Il dessinait de manière très légère, rapide, à traits déliés. Il a ensuite réalisé un modèle miniature en terre, sur une armature métallique. Il va ajouter, enlever de la terre, lasculpter. Ce sont les traces de ces coups d'outils sur la terre que l'on retrouve sur l'œuvre finale. Les assistants de Bourdel ont ensuite fait un aggrandissement en plâtre de ce modèle. Cette sculpture de plâtre a ensuite été enduite de manière à en faire un moulage, qui a été découpé en plusieurs pièces afin d'être plus maniable. Ce sont les jointures de ces pièces que l'on peut sentir sur la sculpture, comme de petites coutures. Une fois le modèle en plâtre retiré, les pièces du moule ont été à nouveau assemblées. On y a fait couler de la cire qui s'est insinuée dans les moindres petits détails. Par-dessus la cire, on a fait couler de l'argile réfractaire, appelée la potée. Les pièces du moule ont ensuite été retirées. Le fondeur a alors réalisé de petites canalisations en cire tout autour de la sculpture avant de recouvrir celle-ci d'une autre potée. Si bien qu'on obtenait une sculpture avec un cœur en argile, une couche de cire, puis une couche d'argile par-dessus. Cette dernière couche était percée de petits trous formés par les canalisations de cire. Le tout a été chauffé très lentement de manière à ce que la cire fonde et s'évacue par les petites canalisations, laissant un vide entre les deux couches d'argile. Dans ce vide, le fondeur a coulé le bronze en fusion. Une fois le bronze refroidi, les moules d'argiles ont été retirés et les plus grosses aspérités ont été poncées.

Cette sculpture de bronze a en fait été fondue bien après la mort de Bourdel, par la fonderie Coubertin, créée en 1965. Une fois les modèles en plâtre réalisés, on a le droit d'en tirer 10 bronzes.

Pour terminer la visite, Anne-Sophie nous a prêté son petit escabot afin que nous puissions aller toucher le haut de la sculpture.

Comme chaque fois, nous sommes repartis enchantés par cette nouvelle expérience de visite descriptive d'une sculpture. Rendez-vous a été pris pour la prochaine visite, le samedi 10 septembre, autour d'une œuvre de Frédérique Lucien.

Rédigé par Emmanuelle Gousset, le 27 juin 2011.

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